Il y a une agitation certaine ce soir, au 7 de la rue Saint-Jean, à Dreux. André et Louise demandent à leur fille Babeth, qui a sa propre chambre à côté de la leur, de prendre ses affaires et d’aller, pour cette nuit, dormir dans celle de son frère aîné, Jean. Celle-ci donne sur la cour, à l’arrière, de l’autre côté de la maison. Lui vient d’avoir 15 ans et elle va vers ses 10 ans.
Me concernant, je suis bien indifférent à tout ce remue-ménage…
Chez les Thirel, depuis l’été 1951, la vie a basculé. Pourtant, à la fin des années de guerre et de privations, la vie se présentait sous de bons augures dans la maison de la rue Saint-Thibault, au-dessus de l'atelier d'ébéniste d'André. Louise cessait son activité de typographe pour s’occuper de sa progéniture, Jean, Babeth et Michel. Ce dernier, troisième de la fratrie, est né 15 mois après Babeth. Les trois grandissent et les parcours scolaires de l’aîné, au collège, et des benjamins, qui forment une paire joyeusement soudée à l’école primaire, ne posent pas problème. Le week-end, ils vont avec toute la famille dans la maison de Tréon.
Malheureusement, la maladie de Michel survient et nécessite son hospitalisation à Paris, à l’hôpital des enfants malades. La vie familiale de la famille s’en trouve bouleversée entre inquiétude et espoir de guérison. La famille quitte la rue Saint-Thibault et s’installe rue Saint-Jean où Michel décède âgé de 6 ans.
Louise ne se remet pas de la perte de son fils et André s’occupe beaucoup des deux aînés pour qui la vie continue. Le couple décide d’ouvrir une nouvelle page et c’est ainsi qu’en cette soirée de novembre 1953, Louise sait que le terme de sa grossesse est tout proche. Elle a déjà accouché par trois fois et pense que « ça devrait aller vite… » Même si les accouchements en maternité sont maintenant plus courants, celui-ci se fera comme les précédents à domicile et, le moment venu, André ira chercher le médecin de famille prévenu, qui n’habite pas loin. Babeth a rejoint la chambre de son frère qui, en bon ado, ne manque pas de la chahuter ou de lui faire peur. Peut-être n'ont-ils pas envie de dormir, ce soir-là.
À cet instant, je suis quant à moi calé bien au chaud. Les plaintes de Louise, ma mère, vous l’avez deviné, ne troublent pas ma somnolence ; depuis neuf mois, j’ai eu le temps de m’habituer à sa voix. Cela dit, malgré les demandes du docteur Jaeger qui voudrait bien que ça ne dure pas trop longtemps – poussez madame, alleeez ! – je dois admettre que je ne fais pas beaucoup d’efforts et la nuit s’annonce longue. Je m’en fiche, graine d’emmerdeur déjà, je ne suis pas pressé !
On approche quand même des deux heures du matin et ça fait un moment que le travail a commencé. Suffisamment en tous les cas pour que le toubib mette la pression, au propre et au figuré, sur l'accouchée, la prévenant des risques encourus par le futur nouveau-né. « Holà, pas de blague, hein ! » ; je prends le coup de pression pour moi et me décide donc illico à pointer le bout de mon nez. Mais si « l’enfant se présente bien », comme on dit, il fait son poids et a déjà une grosse tête (non, pas « la » grosse tête, s’il vous plaît).
J’entame les dernières brasses de ma remontée en apnée, donne les derniers coups de palmes et j’entends maintenant de plus en plus distinctement les consignes de l’accoucheur qui a embauché mon père pour l’assister… « Allez, Monsieur Thirel, vos mains sur le ventre, appuyez… » Je ne sais pas si c’était très orthodoxe, mais ma mère racontera souvent qu’elle en a longtemps gardé les stigmates. « Madame, un dernier effort, poussez, poussez, oui, là, voilaaà ! »
Il est deux heures trente du matin et mon premier cri, attendu par le médecin, témoigne de mon arrivée sans encombre dans ce nouveau monde. « C'est un garçon ! » Pas besoin d’explications ni de mode d’emploi, je peux enfin me remettre de mes efforts au sein de ma mère et construire ma réputation de bon mangeur. Ça creuse, un effort pareil !
Bon, pour être honnête, je n’ai pas réel souvenir de ces premiers instants de vie et, si je peux vous les rapporter ainsi, c’est que je les ai souvent entendus racontés par ma mère avec moult détails et, il faut bien le dire, non sans une certaine fierté…
Le lendemain matin au réveil, je pense qu’on n’aura pas besoin d’invoquer choux ou cigognes pour me présenter à mes aînés qui attendaient, m’a-t-on dit, l’arrivée de la petite sœur ou du petit frère.
Bien qu'encore adolescent et enfant, ces derniers vont prendre une place toute particulière dans mon éducation, en témoigne le choix « négocié » de mon prénom. Si mes parents, et plus certainement ma mère, je pense, avaient choisi Emmanuel(le), c'est mon frère Jean – promu parrain – qui finalement « imposera » Alain. Babeth, ma sœur, aurait préféré le choix initial, m’a-t-elle dit, mais voilà… Et pour le même prix, j’ai eu droit à l’adjonction des prénoms de mes frères, Jean et Michel. Pourquoi ne pas y avoir ajouté Elisabeth, je l'aurais à coup sûr bien porté et sans aucun problème assumé. Cet épisode du prénom, anecdotique en soi, a néanmoins son importance en ce qu'il est le premier acte d'une enfance et d'une jeunesse entre parents et grands aînés.
Le lundi matin, André procédait à la déclaration de naissance à la mairie de Dreux.
Ça a débuté comme ça !
Liens
Docteur Charles JAEGER : article du blog "Dreux par Pierlouim"
1-Jour-1-Ancêtre
Ce défi entre généalogistes consiste à raconter l'histoire d'un ancêtre à partir d'une date précise. C'est une façon de mettre en lumière les "obscurs", ceux dont on parle peu. Une date, un ancêtre qui a connu un événement ce jour-là et une publication exactement à la date choisie ou presque...
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Bon anniversaire Alain, qui nous remonte pas mal en arrière ! Merci pour ce "documentaire" et je vois sur la photo le frère de mon grand-père, oncle Félix et sa femme tante Adeline, ça me fait plaisir de les voir là dans une scène importante de vie familiale.
il est né le divin enfant…
Bon anniversaire !
Excellente, la description de l'accouchement !