Récit de vie : Emma et Armand (3) : le mariage et une naissance
- Alain THIREL-DAILLY
- 26 oct. 2024
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 oct. 2024
Après une période de troubles et de doutes, Emma et Armand se consacrent maintenant pleinement à leur installation à Dreux. Lire ou relire en cliquant ici l'épisode précédent. Armand est encore occupé à Paris, mais il correspond avec Emma à qui il envoie une carte postale des grandes inondations parisiennes de 1910, sur laquelle il figure.

« Je vous remercie de votre carte ; je n'ai même pas cherché, j'ai trouvé tout de suite, mes yeux ont été sur vous. [-] C'est avec un bien grand plaisir que j'ai reçu votre lettre-carte ce matin. Je suis encore plus heureuse de savoir que vous venez mercredi soir par le train. [-] Il a fait un brouillard très intense toute la journée, j'ai passé mon après-midi à repasser dans notre maison, j'ai fait du feu dans la cheminée de la salle à manger. J'ai pensé à vous que je vais enfin avoir le bonheur de vous revoir, moi qui m'ennuie tant de votre absence. Enfin, dans quelques jours, je prends patience. »
L’installation du parrain et de sa filleule n’est plus qu’une affaire de jours.
Plus rien, désormais, ne viendra troubler leurs projets et après quelques mois partagés entre Dreux et Paris, ils publient en avril 1914 les bans pour leur futur mariage.
Comme vous le savez sûrement, l’Église catholique, par décision du concile de Trente, s’oppose au nom de la parenté spirituelle au mariage entre parrain/marraine et filleul·le. Comment les futurs ont-ils géré cette situation. Nous avons, bien entendu, demandé aux archives de la paroisse de Dreux, puis à celles de l’évêché, de bien vouloir rechercher et nous communiquer l’acte de mariage. La réponse négative à notre requête permet de conclure que seul a été célébré un mariage civil.
Le 16 avril 1914, en la mairie de Dreux, est célébré le mariage du couple en présence, du côté de l’époux, du président de la Société municipale des secours mutuels de la monnaie et de Saint-Germain-des-Prés, Henri Bonnefont, et de celui qui a pris la succession d’Armand à la tête des ateliers de brochage Monniot-Klein, Alfred Monniot. Du côté de l’épouse, ce sont ces deux frères Marcel et Émile qui assistent leur sœur. Armand et Emma sont respectivement dans leur 67e et 35e année.
À l'occasion du mariage, Armand fait dorer deux verres avec les initiales de leurs prénoms respectifs « E » et « L ». Mais, il y a une erreur, me direz-vous, le verre du marié devrait porter un « A », comme Armand et non un « L » ! En effet, mais en voici l'explication. Dans les différentes articles que je lui ai consacré, j'ai toujours désigné mon grand-père par son prénom de naissance qu'il utilisera dans toutes les circonstances de sa vie publique. J'ai fait ce choix pour plus de simplicité, même si, dans sa vie privé et ce depuis son enfance, mon grand-père a toujours été appelé Louis, son quatrième prénom de baptême ! Dédoublement de personnalité ? Allez savoir.

Après la cérémonie, la famille et les amis partagent le repas de noces au Café Martin, aux Bas-Buissons, avant que les amis parisiens ne retournent prendre le train. Parmi les amis qui n’ont pu faire le déplacement, signalons Frédérick-Nielsen Behrends, relieur renommé de la place parisienne, et Félix Roussel, avocat, ancien président du Conseil municipal de Paris, qui adressent leurs félicitations aux époux.
Un faire-part est largement diffusé, annonçant le mariage qui vient d'avoir lieu, et, là aussi, c'est son prénom « privé » qui est utilisé !

Pour Emma et Armand, qui partent le lendemain à Paris, le voyage de noces sera parisien. Les « enfants » (de 66 et 34 ans, rappelons-le) ne sont pourtant pas bien loin, mais ils doivent donner des nouvelles et déjà Elisa, la mère d’Emma, leur écrit pour donner quelques conseils… « Chers enfants, ne prenez pas froid [-] faites du feu le matin, ça assainit l’appartement [-] Surtout, pas trop de fatigue, mangez bien, dormez bien [-] et c’est un peu trop de rentrer après minuit… »
NdlA : C’est amusant, me dis-je en moi-même, je n’ai bien sûr pas connu cette arrière grand-mère, mais dans ses propos, je crois entendre sa fille, ma grand-mère Emma, parler à ma mère et à mon père, « son cher gendre » ; la transmission, c’est quelque chose !
Armand et Emma sortent souvent et les amis parisiens sont nombreux à visiter : « Je suis contente que vous ayez été bien reçus par les personnes que vous êtes allées voir et que vous vous divertissez bien… » dit Élisa à ses enfants. Elle donne des nouvelles de la famille : « Oncle Alfred est venu, Fernand s’est fait couper les cheveux sur le front et il est bien, ça ne le change pas du tout ; ils vous souhaitent tous le bonjour. » La vie publique compte et l’on se tient informé, notamment des élections législatives. Nous sommes sous la IIIe République et le maire de Dreux est candidat pour la 3e fois à sa réélection comme député : M. Viollette est élu par 2.207 voix de majorité sur M. Glatigny. Je vous mets le résultat, mais je crois que Marcel n'a pas oublié de vous envoyer les journaux ; demain, je vous en enverrai un. »
Elle quitte sa fille et son cher gendre : « Vous ne serez pas trop longtemps à me réécrire, quand ça ne serait qu'une petite carte [-] Votre mère qui vous aime et qui vous embrasse bien fort, sans vous mordre (sic !). »
Armand et Emma prennent du bon temps, et à la mi-mai, ils sont toujours à Paris. Élisa leur écrit à nouveau : « Je vois que vous vous promenez partout, vous n’aurez bientôt plus rien à voir à Paris ; je vous vois de là dire : Maman, elle croit que Paris, c’est presque les Buissons. Mais non, c’est un petit peu plus grand. » Les nouvelles locales n’y coupent pas : « Palmyre est allée à l’enterrement de Rouellé qui était chez Mme Voxeur, même qu’il était question qu’ils se marient ensemble. Il est mort subitement chez elle après avoir mangé la soupe, mais on l’a emporté chez lui. » La grand-mère emmène un de ses petits-fils « faire de l’herbe aux lapins », comme sa fille, ma grand-mère Emma, le fera avec moi enfant ; reproduction, encore. Les conseils, gentils, et les réprimandes, taquines, se répètent, montrant s’il en était besoin que le couple se donne du bon temps : « Tant qu’à l’heure de rentrer, vous méritez de vous faire gronder bien fort, mais vous allez rire, voilà, dame, c’est comme cela les enfants d’aujourd’hui. » Elle renchérit quelques paragraphes plus loin : « Mon gendre, en général les poules de nos poulaillers sont couchées comme le soleil, mais les poules de Paris, ah, celles-là, dame, elles n’ont sans doute pas d’heure. Vous la connaissez et vous la pratiquez sans doute [la vie parisienne]. Enfin, tout ça, c'est trop tard de se coucher à minuit ou 1 h du matin. Ah les Parisiens ! [-] Mais les mères, ça pardonne bien vite. »
Jusqu’à l’été, le couple continue de se partager entre Les Bas-Buissons et Paris, où les implications et engagements d’Armand l’appellent encore. Le voyage de noces s’éternise, jusqu’à ce que les événements arrivent… Le 2 août 1914, en effet, la mobilisation générale pour la Grande Guerre est décrétée.
Armand, le vétéran de 1870, y échappe naturellement eu égard à son âge, mais la situation l’affecte. « Tous les hommes sont mobilisés jusqu’à 48 ans, le travail s’arrête partout, c’est malheureux, mais il y avait longtemps qu’il fallait s’y attendre. Que de victimes, que de misère », écrit le dévoué cousin à Marie Zell, cousine germaine de sa première épouse. Il continue en parlant de la mère d’Emma, veuve, qui voit tous les hommes qui la soutenaient partir : « Son gendre, 45 ans, est parti pour garder les lignes de chemin de fer, voilà 11 jours. Son fils, [le tambour de ville] qui a 38 ans 1/2, est parti au 101e de ligne. Son dernier, qui a 32 ans 1/2, attend son ordre d'appel ; il est dans les fusillés. Voyez, tout cela n'est pas gai, espérons en la grâce de Dieu. » Dans un courrier à des amis parisiens, il précise : « Espérons que cela ne sera pas trop long. Mais que de victimes il y aura. Avec la pluie des puissances, on aura la victoire et l'on pourra être tranquille. » S’il a raison sur le massacre que cela va être, il n’imagine sans doute pas que cela va durer quatre longues années !
Armand et Emma sont désormais le seul et dernier soutien d’Élisa Martin, la mère de l'épouse. Finalement, au lieu de la rue du Val Gelé, à Dreux, ils s’installent au hameau des Bas-Buissons, pour rester auprès d’elle.
Les jeunes mariés, ou plutôt, les nouveaux mariés, espéraient sans doute mieux pour cette nouvelle vie qui débute. Pourtant, nous comprenons vite que le désir d’enfant est présent au sein du couple. Alors qu’ils s’apprêtent, au moment des vacances d’été, à passer quelques jours à Paris, Emma fait une fausse couche à Dreux. « Heureusement, dans notre malheur, que cela est arrivé ici. Nous aurions été bien embarrassés à Paris, dans notre petite chambre, avec son garçon qui aurait été avec nous puisque c'était pour ses vacances que nous serions venus. Je ne sais comment nous aurions fait, surtout qu'il y a eu des complications. Il a fallu un curetage. Elle commençait à se lever quand elle a eu de la constipation et des douleurs dans les intestins. Depuis la mobilisation, les médecins sont tous partis, la sage-femme a été mobilisée pour l’hôpital. »
C’est l’époux qui, dans ce contexte particulier, doit dispenser les soins. Tous les jours, il fait la route, aller-retour, entre Les Bas-Buissons et l’hôpital de Dreux pour aller prendre les consignes et rendre compte de l’état de santé de son épouse. « Je lui mets des cataplasmes et lui fais des frictions de « baume tranquille ». Enfin, elle recommence à se lever. J'espère maintenant que cela va aller. »
Ce courrier nous semble intéressant à deux titres. Il nous montre, d’abord, qui était humainement l’homme qui parle et écrit librement à propos d’évènements intimes de la vie de son épouse, ce que peu d’hommes à l’époque devaient faire, et qui prend toute sa part dans le soin et l’accompagnement de celle-ci, malgré son âge. Il nous renseigne, ensuite, sur la qualité des relations qu’il conserve et entretient avec la famille de sa première épouse, qui a accepté son remariage.
Emma se remet tranquillement de cet événement quand Armand, lui, continue d’aller à Paris pour tenir ses engagements, visiter son successeur, assister à de nombreux convois mortuaires et rendre des visites de courtoisie.
À l’été 1915, Emma est de nouveau enceinte. Sa mère et son époux redoublent de précaution. La grossesse se déroule finalement normalement et c’est aux Bas-Buissons que nait leur fille, Louise KLEIN, le 30 janvier 1916. Louis et Emma sont respectivement dans leur 70e et 37e année.
C'est Armand, assisté de son beau-frère Marcel Martin, qui déclare la naissance.

Le Récit-de-vie
Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.
Devenez membre du site, pour suivre les "Récit-de-vie".
Vous pourrez ainsi commentez et échanger avec les autres membres du site... et encourager l'auteur de ce site
En quelques clics, en haut de toutes les pages du site, suivre les instructions :

Je suis toujours avec intérêt la vie de votre ancêtre, qui se lit comme un roman. Bravo !