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#RDVAncestral - Cette arrière-grand-mère inconnue

C’est à la découverte de mon arrière-grand-mère Catherine KLEIN (1822-1899), cette femme méconnue pour ne pas dire ignorée de ma famille, que m’amène ce premier RDVAncestral. Au risque d’ailleurs d’aller contre la volonté de cette femme qui a souhaité rester dans l’anonymat puisqu’elle a abandonné à la naissance son fils, mon grand-père Armand KLEIN, le 16 août 1847 à Paris. Vous trouverez en annexe à la fin de cet article, pour ceux qui ne connaissent pas, la présentation de ce rendez-vous d'écriture généalogique qu'est le "RDVAncestral".

Pour aller à Châtillon-sous-Bagneux, lieu de mon rendez-vous, je prends le chemin de fer secondaire nouvellement créé qui relie la capitale à Arpajon. Nous sommes au début de l’année 1899 et tout en voyant défiler les cultures maraîchères qui chaque jour rejoignent le « ventre de Paris », je gamberge, partagé entre l’impatience de la rencontre et la crainte de me faire éconduire par cette bisaïeule mystérieuse.

Au 5 de la rue de Fontenay se dresse une grande bâtisse en pierres de taille de deux étages et combles dans laquelle on peut entrer par un porche suffisamment large pour permettre le croisement de deux voitures à cheval. Je suis bien arrivé à la maison de retraite Notre Dame d’Auray. L’établissement, ancien château de la comtesse de Girardin, est géré par les soeurs de la Charité de l'ordre de Saint-Vincent-de-Paul. Celles-ci ont fait construire, sur un parc de plus d’un hectare, des logements pour les pensionnaires, une chapelle et des bâtiments agricoles. Ce type de lieu, rare pour l’époque, ne doit pas être accessible à tout le monde.


Maison de retraite Sainte-Anne-d'Auray - Bâtiment des dames pensionnaires
Maison de retraite Sainte-Anne-d'Auray - Bâtiment des dames pensionnaires

À l’intérieur, dans un beau jardin d’agrément, quelques rares personnes âgées se promènent quand la plupart se reposent sur des bancs. Catherine est-elle parmi elles ? D'ailleurs comment pourrais-je la reconnaitre, elle dont je ne sais rien ou presque, elle qui ne figure pas dans l'histoire familiale.

J’interpelle un homme encore alerte, bien qu’assez âgé, qui jardine :

« Bonjour Monsieur, excusez-moi de vous déranger. Je viens rendre visite à une personne qui, selon mes informations, doit résider ici…

– B'jour ! C't'un m'sieur ou une dame ?

– Une femme, Madame Klein…

–  L'bâtiment là-bas, c’est là qu'sont les femmes. » 

Je le quitte, non sans le remercier, alors qu’il a déjà repris son ouvrage.

Rentrer en contact avec mon ancêtre va être plus ardu. La religieuse qui a repéré une silhouette inconnue dans l’établissement, vient au devant de moi et se montre bien perplexe face à ma demande.

« Bonjour Ma Mère, je viens rendre visite à Mme Klein... je suis son arrière-petit-fils… » lui dis-je me rendant compte aussitôt que j’aurais pu passer cette dernière précision sous silence…

La religieuse, après un court instant dé réflexion, met bas mon assertion :

– Vous êtes son arrière-petit-fils, me dites-vous… Certes Madame Klein est bien pensionnaire de notre établissement mais elle est célibataire et sans descendance ! »

Je pense un instant, pour attester de ma bonne foi, lui présenter l’acte de naissance de mon grand-père, dans lequel Catherine est bien mentionnée, mais heureusement je me récuse au risque de tout compromettre.

« Excusez-moi, j’ai dû faire erreur il y a beaucoup de Klein, c'est vrai... pensant en moi-même aux centaines de Catherine Klein trouvées dans les registres d'état-civil. Me permettrez-vous néanmoins d’aller présenter mes salutations à cette dame, elle pourra peut-être me renseigner ? »

J’ai pris soin moi qui débarque du 21ème siècle (nous sommes dans un improbable RDVAncestral à la fin du 19ème rappelons-le), j'ai pris soin, donc, de revêtir un sobre pardessus noir intemporel et un pantalon de velours assorti que j’affectionne. Pour finaliser le tout, mon habituel chapeau mou sur mon crâne dégarni et une canne de circonstance à la main. Avec mes bacchantes blanchies, je ne dépare pas dans ce paysage fin 19ème.

La supérieure, me considère avec attention de la tête aux pieds et finalement décide de me faire confiance.

« Puisque vous insistez, suivez-moi. »

Catherine, dans ses pensées, est assise dans un fauteuil à l’écart des autres résidentes. De petite taille, bien mise, cheveux blancs tirés en chignon, sous les traits vieillis transparait la belle femme qu’elle a dû être.

« Bonjour Madame, vous êtes bien Catherine Klein… 

— Que me voulez-vous ? ».

Ma voix, face à la froideur de l'accueil, tressaille un instant mais j’arrive quand même à bredouiller quelques mots :

« Euh, et bien voilà… ça n’est pas simple. » J’hésite à nouveau, puis d’un coup, comme pour me libérer je lâche « Madame, je suis votre arrière-petit-fils ! ».

Catherine reste impassible ne laissant absolument rien paraître de sa réaction. Masque-t-elle sa surprise, est-elle dans le déni, ou simplement dans l'incompréhension de ce qui lui arrive ? Elle détourne la tête, reste silencieuse quelques instants qui me paraissent des heures, avant de m'asséner :

« Ah oui, et comment cela serait-il possible ? Sauf votre respect, vous n’êtes pas beaucoup plus jeune que moi, Monsieur. »

Manifestement, ma bisaïeule a repris ses esprits !

En ce mois de février 1899 elle est en effet dans sa soixante dix septième année et moi, son arrière-petit-fils, dans ma soixante et onzième. Cocasse, non ? Je lui explique le RDVAncestral, qui me permet ce voyage dans le passé, et ma passion pour l’histoire de mes ancêtres. Je la sens dubitative.

Pourtant, sa curiosité semble l'emporter. Se sentant vieillir, peut-être est-elle curieuse de découvrir sa descendance ignorée comme je souhaite, de mon côté, en savoir plus sur cette branche de mon ascendance. Je poursuis :

« C’est au cours d'un séjour en Alsace, à Bouxwiller, que le Pasteur du lieu m'a appris que vous y êtes née le 15 septembre 1822. Je ne me trompe pas ?

— Ç'est cela, en effet…

— Je peux même vous dire que vous êtes née en la maison 328 !

— Si vous le dites... je n’en sais fichtre rien ! »

En fait, depuis cette visite dans le Bas-Rhin, à la fin des années 80, je n’ai de cesse de tenter de reconstituer le parcours lacunaire de celle à qui je rend visite. Pour l’instant je dois la mettre en confiance en évitant d'aborder de front les périodes de sa vie qui me font mystère, celles qu’elle a soigneusement conservées cachées. J’aurais certainement besoin, je vous l’annonce déjà, de plusieurs échanges avec elle, pour tenter d'élucider son mystère. Je lui propose de me parler un peu de son enfance et de sa jeunesse.

« Ma soeur ainée Salomé et moi étions trop petites pour que nous ayons des souvenirs de Bouxwiller quand nos parents ont décidé d’en partir ».

Au moment de la naissance des deux soeurs à un an d'intervalle, leur père Henry KLEIN, exerçait comme journalier à l’usine de vitriol de la commune et sa mère Christine GREINER était journalière. Les grands-parents Klein étaient déjà décédés et la grand-mère côté Greiner ne vivait pas dans la commune. C’est dans ce contexte que le couple et leurs deux filles ont quitté Bouxwiller, le père ayant trouvé du travail dans l’industrie minière. Catherine poursuit :

« Je devais avoir un peu plus de trois ans quand mon frère Henri est né, à Gémonval dans le Doubs je pense, où mon père travaillait à la mine. Par contre, c'est certain que c’est en cette commune qu'il est mort 3 ans plus tard, en février 1828 ».

La famille, immédiatement après ce décès, déménage à nouveau et c’est au hameau de la Houillère à Champagney, en Haute-Saône, qu’on les retrouve. Henry vient d’y être embauché quand son épouse est une quatrième fois enceinte. L’accouchement est prévu pour le début 1829. Henry décède quelques mois plus tard et ne connaitra pas son fils Gabriel qui naît en février suivant.

« Même si je n’étais pas encore bien grande, la mort de mon père plus que celle de mon frère a été un choc; la mort des enfants en bas-âge est chose habituelle, mais la perte de son père, c’est autre chose. » Et puis après une pause :

« Nous sommes retournées à Bouxwiller, même si nous n’y avions plus de famille proche. Gabriel y est décédé à son tour en novembre 1829 ».

Christine Greiner, jeune veuve de 32 ans, et ses deux filles Salomé 8 ans et Catherine 7 ans se retrouvent seules au monde. C’est à ce moment là qu'elles disparaissent pour la première fois dans mes recherches généalogiques. En effet, elles n’émargent pas aux recensements suivants de Bouxwiller et des communes avoisinantes. Il me faut attendre 1847, à Paris, pour que je retrouve Catherine couchée sur l'acte de naissance de mon grand-père.

Dix huit années dont j’ignore tout…

Mais revenons à ma visite à ma bisaïeule. Celle-ci fatigue et montre des signes de lassitude. Peut-être sent-elle venir des questions sur cette période blanche de près de vingt ans et, surtout, sur l'abandon de mon grand-père à Paris. Je ne veux pas brusquer les choses. Elle n'a pourtant rien à craindre, je ne conçois aucun reproche à son égard. Et d'ailleurs, à quel titre pourrais-je lui en vouloir ?

« Je fatigue. Je pense qu’il serait bien que nous en restions là ! dit-elle avant d'ajouter, non sans malice. Il se fait tard et vous avez un long trajet pour votre voyage retour… »

Accédant sans broncher à sa demande, je me lève pour la saluer et prendre congés.

« Au revoir, Madame. » Nous ne sommes pas encore suffisamment intimes pour me permettre des familiarités.

Pour la première fois moins fermée, elle conclue me lançant dans un demi-sourire ironique :

« Adieu, mon petit ! ».

Ce mot d’adieu est sûrement un signe puisqu’elle décède un mois plus tard le 29 mars 1899. Pourtant cela, contrairement à moi, elle ne le sait pas !

L’avantage du « RDVAncestral » est que l’on peut se permettre beaucoup de choses et, notamment, de revenir voir un ancêtre, autant de fois que l’on veut et à n’importe quelle époque de sa vie. Je reviendrai donc vers Catherine, si tant est qu’elle accepte de me recevoir, et tenterai de lever le voile sur ces questions qui me taraudent.


 
Le RDVAncestral

Le RDVAncestral est un projet qui mêle écriture et généalogie. Le principe est simple : partir pour une rencontre improbable d'un de ses aïeux, se transporter auprès de lui, à une époque et un lieu donnés. La publication des ces écrits est périodique, le troisième samedi de chaque mois.

J'ai choisi de m'inscrire dans cette dynamique et, ainsi, vous retrouverez désormais mensuellement cette rubrique sur le portail « Histoires Familiales ».

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