C’est à la rencontre de Martin GREINER, Sosa 11008 de mes filles, que je me propose de vous emmener pour ce nouveau RDVAncestral imaginé à partir d’une visite bien réelle en Alsace sur les traces de nos ancêtres en juin 2022.
Les seules informations dont je dispose à propos de Martin proviennent de l’acte de mariage de son fils, Caspar GREINER, à Ingwiller en 1610.
Transcription-traduction :
Ingwiller, paroisse protestante, 1610
9.Item
Le 4 juin, lundi après la Trinité, ont été mariés :
Gaspard (Caspar), fils légitime de Martin GREINER, verrier (Glaser) et bourgeois de Volsperg, de sa profession : boucher (Metzger) et
Demoiselle Reine (Regina), fille d’Eckart RITTER, boucher et échevin de justice (Gerischtsscheffe).
C’est en nous documentant pour préparer ce voyage que nous avons appris que Georges-Jean de Veldenz, Comte de la Petite-Pierre pendant la seconde moitié du XVème siècle, protégeait les verreries de Puberg, Struth, Berling et Volksberg près du menhir du Spitzstein. Un bon point de départ pour notre recherche….
Le menhir de « la pierre pointue », ancien monument païen, est toujours en place un peu en retrait de la D333 entre Volksberg et Rosteig. Orienté nord/sud, sur sa face méridionale se trouve une cavité garnie d'une corbeille de fleurs fanées. Cette niche recueillait, dans des temps anciens, les offrandes des habitants des villages environnants et des pèlerins de passage.
Sous forme de plaisanterie, avec mon épouse, nous mimons la scène de la série « Outlander » dans laquelle l’héroïne, d’une apposition des mains sur la pierre centrale d’un cairn écossais, se retrouve propulsée parmi ses ancêtres quelques siècles auparavant…
À peine effleurons-nous la pierre que nous voila transportés au même endroit… quatre siècles en arrière. La cavité ne contient plus la corbeille de fleurs mais des pièces de cuivre offertes par des passants. Il n’y a pas de doute, nous avons bien changé d’époque ! Peut-être nous aussi, à l’instar de Claire Randall, héroïne de la dite série, allons-nous rencontrer nos ancêtres... Imaginez notre stupeur et notre excitation !
Nous décidons de partir sans attendre à la recherche d’une de ces verreries qui, à l’époque, étaient nombreuses dans ces contrées; ainsi quelqu’un pourra peut-être nous orienter vers notre ancêtre Martin; les verriers se connaissent entre eux, c’est sûr !
Les historiens contemporains sont bien en peine pour déterminer l’emplacement exact de ces anciennes verreries détruites lors de la guerre de 30 ans, en 1634, par des hordes suédoises. Tout juste émettent-ils quelques hypothèses cartographiques sur lesquelles nous nous appuyons… Dirigeons-nous vers le lieu hypothétique le plus proche du menhir en nous enfonçant dans les bois, vers le nord.
Le dénivelé est faible mais la montée est longue avant d'atteindre un sommet d'où nous tenterons de nous repérer. De ce point culminant nous apercevons plein ouest, en contrebas, un panache de fumée synonyme, selon toute logique, de présence humaine. Nous décidons de plonger sur ce versant et au fur et à mesure de notre avancée nous distinguons de mieux en mieux ce qui semble être une clairière ouverte au milieu de cette dense forêt de hêtres. Le soleil est déjà bien monté au dessus des plus hautes cimes, il est temps que nous arrivions.
Nous nous postons à distance et apercevons, au centre de la clairière, une construction rudimentaire d’où s’échappe, sans discontinuer, une épaisse fumée. À proximité, près de la rivière, des cabanes de bois.
À la vision de ce lieu, je repense à la chronique de Georg Walter : « Mes parents et grands-parents m’ont raconté, dit-il, que les premières verreries des forêts de la région étaient très petites et portaient le nom de Stützenhütten [simples cabanes en bois]. Les habitants étaient très pauvres et la construction de ces verreries était très simple : quatre troncs d’arbres enfoncés dans le sol formaient les quatre coins, les parois et la toiture étaient en planches. »
Ce que nous venons de voir correspond en tous points à cette description et peut-être sommes-nous sur la piste d'une des verreries où exerce notre ancêtre Martin Greiner.
Walter poursuit : « On construisait toujours ces petites verreries dans les vallées où il y avait du bois et, à côté, on élevait de petites habitations en bois également. On y restait aussi longtemps qu’on pouvait y transporter facilement le bois pour le chauffage du four, et on s’en allait ensuite construire, un peu plus loin, une autre verrerie. »
Prenant sur nous-mêmes, nous avançons avec prudence vers le cabane d’où s’élève la fumée. Un homme qui nous a aperçus en sort et se dirige vers nous.
« Bonjour Monsieur… excusez-nous de vous déranger, nous recherchons un certain Martin Greiner… maître-verrier dans les forêts de Volksberg… »
L’homme, surpris de notre accoutrement pour le moins décalé en cette époque ancienne, nous dévisage de pied en cape puis se décide à nous répondre :
« Je ne sais pas si je suis celui que vous cherchez tant les Greiner, qui plus est verriers, sont nombreux dans ces régions » et d’ajouter après un silence « quant aux prénoms, nous n'y prêtons guerre attention, les Martin sont légion. En plus, souvent, un ou plusieurs des fils se prénomment comme le père. » Nous attendons qu’il nous en dise plus quand il conclue « en tout cas, je suis bien issu de cette famille dont je porte fièrement le nom. »
Nous sommes en présence d’un de ceux qui ont contribué avec la seconde grande famille verrière, les Stenger, à introduire cet art millénaire du verre en Alsace et en Lorraine.
« Entrez… » dit-il en joignant le geste à la parole, nous poussant à l’intérieur de la verrerie.
Nous sommes saisis par la température élevée qui règne dans ce lieu clos et notre homme, habitué à ces hautes températures, s’en amuse. Au centre se tient le four circulaire alimenté par le bois de hêtre prélevé à proximité, qui tourne à feu continu pour maintenir une température de 1.400 degrés. Cinq ou six verriers s’activent autour du foyer sans nous prêter attention, absorbés par leur tâche.
« Nous trouvons ici tout ce qui est nécessaire pour fabriquer le verre : le sable des rivières pour la silice, la matière première de base. Pour abaisser le point de fusion du verre, nous avons besoin de salin. Fin mai début juin nous coupons la fougère au croissant et au déclin de la lune, où elle se trouve en perfection et rend un sel plus blanc, plus abondant et meilleur que si on la coupait en un autre temps. Pour obtenir 10 kilos de potasse, nous brûlons 18 m3 de bois. L’eau de la rivière sert à laver le sable et les cendres, à refroidir les moules et actionne les moulins broyeurs des matières premières. Et le sol argileux de Volksberg nous fournit la terre nécessaire à la fabrication de nos pots de fusion. »
Nous restons muets, tant la surprise est grande. Les gestes des verriers sont précis, minutieux, enchaînés dans un timing rigoureux, tirant du feu et modelant avec dextérité la matière en fusion dans différents moules à gobeleterie. Peu de choses ont évolué entre leurs techniques et celles que nous avons vues, quatre siècles plus tard, dans l'atelier pédagogique du musée de Meisenthal visité il y a quelques jours…
La température est difficilement supportable et Martin nous invite à le suivre près de sa cabane. L’eau fraiche servie dans des gobelets de sa fabrication est bienvenue. Le soleil est à son zénith mais la chaleur estivale nous semble comparativement bien plus supportable que celle de la verrerie.
« Vous êtes donc propriétaire des terres et des bois où vous installez vos verreries ? », lui demandons-nous un peu naïvement
— ah non, ça n’est pas si simple, la verrerie est domaniale. »
— Vous êtes donc redevables, c’est ça ?
— En effet, je dois m’acquitter annuellement d’un droit de bail de 50 florins. Ce bail me donne ainsi la faculté d’abattre dans la forêt le bois nécessaire à l’affouage de notre four. »
— Et vos familles vivent avec vous ?
— Quand la verrerie n’est pas trop éloignée du village, nos familles y restent, sinon, et c’est le plus souvent le cas, nous construisons de sommaires habitations à proximité des verreries. Nous payons 3 Kreutzer, une mesure de blé et la dîme pour chaque acre de près ou de champs. De même, pour chaque maison construite, nous versons 1 shilling de Strasbourg annuellement comme impôt foncier. »
Nous voulons en savoir encore plus et profitons de la disponibilité de Martin.
« Vous avez toujours vécu dans cette région ?
— Oh non j’ai toujours entendu parler d’un certain Peter Greiner, né au début du 15ème siècle, maître-verrier à Neulautern, en Souabe, région du sud-ouest de l’Allemagne. Il a transmis son savoir-faire à ses fils qui l’ont perpétué à leur tour de génération en génération. Une partie de sa famille est partie au sud de la Thuringe, pour exporter son activité, et Ulrich Greiner, suite à des démêlées avec son seigneur, a émigré pour fonder la verrerie de Mattstall, en Alsace, en 1566, à peu près dans les années de ma naissance… Il a signé, pour cela, un bail avec le Baron de Fleckenstein. »
— Vous êtes un de ses descendants, alors ?
— Je ne peux l’affirmer de manière certaine, mais notre cousinage, au minimum, est certain. Je fais bien partie de ces « Greiner », originaires d’Allemagne.»
Ce verrier, nous en doutons de moins en moins, est bien Martin, l’ancêtre que nous recherchons même si nous ne pouvons clairement établir sa filiation.
« Mais au fait, qui êtes-vous donc pour vous être aventurés dans cette profonde forêt ? C’est pas tous les jours qu’on a de la visite ici… »
Je tente alors d’expliquer mes recherches généalogiques, qui m’ont permis de relier Martin Greiner, de manière certaine et sourcée, à ma trisaïeule Christine Salomé Greiner.
Nous le sentons incrédule et sans prêter plus attention à nos histoires, il nous coupe pour prendre congé.
— C’est pas l’tout, mais va falloir que j’y retourne, le travail n’attend pas… Buvez encore une bonne rasade et reprenez votre chemin. Bon voyage ! »
Nous n’avons pas vu le temps passer et il nous faut vite revenir au menhir du Spitzstein si on ne veut pas rater la dernière rame de téléportation quantique nous ramenant dans notre époque contemporaine. À regret, toutefois, tant nous aurions voulu poursuivre l’échange et en savoir plus…
Ce RDVAncestral, en tout cas, aura eu le mérite de remettre cette partie de mes recherches sur le dessus de la pile… Si un jour celle-ci aboutissent, il est sûr que je referai le voyage de Volksberg.
La référence à la série Outlander :
Oulander, aussi appelé "Le Cercle de Pierre", est une série de romans fantasy, adaptés dans une série télévisuelle. Ecosse, 1945 : Claire Randall et son mari Franck sont en second voyage de noces, après une période diificile, en plein cœur des Highlands. Pendant que Frank entreprend des recherches généalogiques sur sa famille, Claire visite les environs. Après avoir entendu parler de coutumes locales liées aux cultes druidiques, elle décide d'aller voir par elle-même les menhirs de la colline de Craigh na Dun. Elle traverse les pierres et se retrouve, seule, plus de 200 ans dans le passé, pendant les rébellions jacobites de la première moitié du 18ème siècle.
Si vous connaissez ou regardez la série, vous comprendrez aisément pourquoi je n'ai pas voulu laisser mon épouse partir seule de l'autre côté de la Pierre Pointue...
Bibliographie non exhaustive :
Walter G., Manuscrit d'une chronique en allemand antérieure à 1823 traduite avant 1930 par l'abbé Georges Stenger.
Marcus Ad., Les verreries du comté de Bitche, essai historique (XVème - XVIIème). 1887. BNF. Réédition de 1981.
Jehin P., Verriers et forêts sous l'Ancien Régime en Alsace. Les actes du CRESAT, 2010, pp7.hal-00559372.
Joseph Mégly, Au pays des verriers autour de St-Louis en Lorraine. Ed. Pierron. 1986.
Brodt R., (2021) « Verriers et verreries à Volksberg », Eclats de Verre, Numéro 38, pages 12 à 17.
Remerciements pour leur disponibilité à :
M Rodolphe Brodt, historien spécialiste, notamment, de l'histoire locale de Volksberg.
M Luc Stenger, historien des verriers de Lorraine.
Même si, bien sûr, les libertés prises inhérentes au "RDVAncestral" ne les engage nullement.
Le RDVAncestral
Le RDVAncestral est un projet qui mêle écriture et généalogie. Le principe est simple : partir pour une rencontre improbable d'un de ses aïeux, se transporter auprès de lui, à une époque et un lieu donnés. La publication des ces écrits est périodique, le troisième samedi de chaque mois.
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Très instructif
Ce brave Martin Greiner noté sèchement dans mon arbre "Verrier" a pris par ce récit une autre dimension.... et les menhirs bretons qu'il m'arrive de côtoyer n'ont pas de niche à bouquets de fleurs. Merci pour l'histoire de cette rencontre bien instructive. Bien cordialement
Millénium 2009
très intéressant, loin des plaines du cambrésis
Merci de m’avoir fait découvrir ce récit et l histoire d’un de mes ancêtre! Bravo pour le travail de recherche
C’était un plaisir à lire
Bravo pour votre travail de recherche, je me suis laissé complètement emporté par le récit de votre rencontre avec votre ancêtre. Je ne connaissais pas le Menhir du Spitzstein mais tout comme vous je suis une fan de la série Outlander. B. BUCHY