Récit de vie : Louis François Boyer, ses trois enfants et sa petite-fille, Jeanne Boyer.
- Alain THIREL-DAILLY
- il y a 4 jours
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Dernière mise à jour : il y a 3 jours
Louis François Boyer est condamné, le 11 novembre 1866, aux travaux forcés à perpétuité et transporté au bagne de Nouvelle-Calédonie.
L’aînée des enfants, qui se fait appeler Louise (bien qu’à l’état civil elle soit connue comme Gabrielle Marie) a 16 ans et demi. Elle a déjà eu maille à partir avec la justice et connu la prison. Son frère Louis Pierre, a quant à lui 10 ans ; il ne semble pas avoir été placé, sûrement sa sœur aînée s’en est occupé. La benjamine, Françoise, qui vient d’avoir huit ans, a été placée d’office dans une famille biterroise dès après le décès de sa mère en juillet de la même année.
Cinq ans plus tard, "Louise", 21 ans, se marie avec Paul Vivaldi, 29 ans, à Marseille.
1ère demande de passage gratuit en Nouvelle-Calédonie
En 1876, elle sollicite le passage gratuit pour elle, son époux, son frère et sa sœur pour rejoindre leur père, qui exécute sa peine au bagne de Nouvelle-Calédonie. Le préfet de l’Hérault émet un avis favorable, sollicite l’accord du gouverneur de Nouvelle-Calédonie et l’autorisation leur est donnée pour prendre le bateau en février 1877.

Nous sommes dans un contexte historique où des mesures ont été prises pour faciliter le départ volontaire pour participer au développement des colonies françaises.
Les Boyer ne se présentent pas au port d’embarquement ! Le ministère des Colonies s’enquiert des raisons de cette absence. Le préfet répond : « une maladie de Louise Boyer et la difficulté de vendre un fonds de commerce » les ont empêchés de partir, mais tel est pourtant encore leur projet. Une nouvelle offre de départ, en juin ou début juillet, leur est faite ! Louise, une nouvelle fois, ne donnera pourtant pas suite, sans que nous en connaissions la raison.
Dans l’entre-fait, Louis Pierre, le second de la fratrie qui a maintenant 21 ans, prend pour épouse, à Béziers, Antoinette Palis, 15 ans. Le mariage a dû être précipité puisque deux mois plus tard, vient au monde, le 24 juin 1877, Jeanne Boyer.
Deuxième demande, par Louis Pierre, pour lui, sa femme et sa fille Jeanne Boyer
En novembre de l’année suivante, c’est lui qui formule une demande de transport gratuit avec son épouse et sa fillette de deux ans, Jeanne. Après avis favorable du Préfet, le ministère des Colonies accorde le départ gratuit à partir de Bordeaux en février 1879 et transmet les certificats de transport gratuit ad hoc. Un changement intervient, c’est à Brest à bord du navire « Calvados » que le 15 février la famille doit partir. Un secours remboursable de 125 F leur est même accordé.

Malheureusement, le départ ne pourra avoir lieu suite à « une grave maladie de l’enfant », Jeanne Boyer.
C’est maintenant le tour de la 3ᵉ de la fratrie, Françoise, qui réside à Arles avec son époux Louis Deveze, de s’inquiéter de son père dont elle souhaite des nouvelles, sans que nous sachions si elle obtiendra une réponse. Elle ne formule toutefois pas de demande de transport pour Nouméa.
Le lien entre le père, au bagne, et le fils est rétabli
Début 1885, Louis Pierre écrit à son père à Nouméa dont la peine est en passe d’être terminée. Celui-ci s’est marié il y a trois ans avec une ancienne bagnarde, Marie-Aimée Charbonneau, et maintenant est concessionnaire d’une parcelle à Bourail. En effet, sa peine à perpétuité a été commuée à 20 ans, en 1882, avant qu'il bénéficie d’une remise de trois ans qui interviendra définitivement en 1886.
Le père se réjouit de la volonté de son fils de venir le rejoindre. Il s’engage à lui donner du travail sur sa concession et lui donne toutes les démarches à faire pour pouvoir venir.
Louis Pierre s’empresse de reformuler une nouvelle demande au ministère des Colonies sous couvert du préfet. Celui-ci est sollicité pour fournir des renseignements sur le demandeur. Le temps passe et il faut attendre 1886 pour que des certificats de la ville de Béziers et de la préfecture soient fournis (non-imposition, certificat d’indigence). Le 30 mars 1886, Louis Pierre confirme sa demande et joint lesdits certificats.
Pourtant, deux mois plus tard, le préfet adresse un courrier au ministère de la Marine et des Colonies où il indique : « Il ne possède d’autres ressources que le produit de son travail [-] il est séparé de sa femme et sa moralité laisserait à désirer. » Au vu des renseignements fournis par le nouveau préfet, le ministère des Colonies l’informe que la demande de passage gratuit ne peut obtenir une suite favorable.
Le fils veut absolument rejoindre son père
Cela ne décourage pas Louis Pierre qui, le 5 juillet, adresse une nouvelle supplique au ministre. Ce dernier tance le préfet de lui indiquer les faits qui ont pu, en si peu de temps, faire passer la demande d’un avis favorable à un avis contraire…
En 1887, le 13 juin, alors que décède Antoinette Palis, épouse de Louis Pierre dont il est séparé, aucune réponse favorable ne lui a été transmise. Au dossier de son père, conservé aux Archives d’outremer, plus aucune pièce ne vient nous renseigner sur la suite donnée à cette demande.
Par contre, ce que nous pouvons déduire de la suite, c’est que Louis Pierre et sa fille Jeanne ont obtenu gain de cause et ont fait le voyage gratuit de la Nouvelle-Calédonie. Louis Pierre travaille sur la concession de son père, comme jardinier, comme en atteste le mariage de Jeanne Boyer avec Louis Brunelet, en 1892. Le père y est en effet mentionné présent et consentant.

Louis Pierre a atteint son but, revoir son père auprès de qui il travaille, et assurer un bon avenir à son unique fille, Jeanne. C’est sûrement pour lui l’essentiel et sûrement a-t-il raison de l’éloigner des terres biterroises qui ont précipité le malheur de la famille. Quelques années plus tard, il rejoint pourtant la métropole et Béziers. Il sera donc reparti avant le décès de son père, Louis François, l’ancien bagnard devenu concessionnaire, qui décède en avril 1899. Il se remarie, à Béziers, avec Émilie Fagès, et les termes de l’acte de mariage montrent que Louis Pierre fait tout pour rompre avec son passé et repartir d’une feuille vierge. L’acte mentionne en effet quant à sa parenté : « Le futur époux nous a affirmé par serment, conformément à l'avis du Conseil d'État du quatre Thermidor an XIII, que son père est disparu depuis plus de 20 ans, et qu'il n'a jamais pu savoir s'il était décédé, ni connaître le lieu de son dernier domicile. » Espérons que ce mensonge « par omission » lui aura permis de couler, enfin, des jours tranquilles.
Dans le dossier de Louis François Boyer, le condamné à perpétuité, l’avant-dernière pièce nous interpelle. Un certain Paul Barthes, qui se revendique être le frère de Louis François Boyer (sic), s'est adressé au ministère pour obtenir un passage gratuit… La réponse du préfet au ministre indique que le sieur Barthès est inconnu à Béziers… Quelqu’un aurait-il voulu sous une fausse identité tenter de se procurer un transport gratuit vers les colonies ? Serait-ce un cousin par la mère de Louis François, née Barthes ?
La dernière pièce, enfin, est une ultime demande de la plus jeune des filles de Louis François. Françoise Boyer, divorcée depuis 1888 d’avec Louis Deveze, qui s’adresse de nouveau au ministère pour obtenir des nouvelles de son père. Dans cette demande, elle déclare juste venir de sortir du couvent. Nous ne savons pas si elle aura obtenu une réponse à sa demande.
Le Récit-de-vie
Il s'agit, dans un article unique, ou bien dans une suite d'articles, de raconter en la contextualisant, la vie d'un ancêtre, d'un collatéral, d'une famille, voire même d'un village ou d'une paroisse.
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